• jean-marie muller

    CK : Bonjour Jean-Marie, nous allons aujourd'hui parler d'une consultation chez toi. Dis-moi ce qui se passe quand une personne arrive en face de toi pour la première fois ?

    JMM : D'abord je prends le temps d'aider la personne à se détendre. L'insécurité est là, les émotions sont là. Dans le fond, la personne voit tout, peut-être inconsciemment, mais elle sait qu'elle va se faire scruter. Les peurs sont là aussi. Je lui dis des banalités pour la mettre en confiance, pour l'amener à oublier son stress, comme dans les jeux télévisés, avant de poser les premières vraies questions :
    - Vous avez fait bonne route ?
    - Il faisait beau chez vous ?

    CK : Ce sont des choses du quotidien pour que la personne se sente à l'aise et commence à s'ouvrir à ce qui va arriver. Et après ?

    JMM : Exactement. Après, très rapidement, en me branchant à la personne, les facettes apparaissent, je reçois des informations par sa manière de bouger, de parler, de réagir aux questions, en l'observant. Je perçois la personne. C'est comme si j'entrais en elle. Cela se passe au niveau visuel, auditif, sensoriel, simultanément, dans mon ressenti intérieur également. La personne vient à moi ou je vais à elle, cela évolue au fur et à mesure de la consultation. Et là, je vois les émotions dominantes. Les facettes se manifestent et veulent être vues, on pourrait même dire qu'elles se bousculent parce que c'est le bon moment, il y a quelqu'un qui va les entendre.

    CK : Mais c'est quoi une facette ?

    JMM : Nous avons été mis en boîte, par notre éducation, dans le moule choisi pour nous, nous sommes devenus monobloc. En réalité, nous sommes multi facettes. Nous avons plusieurs corps, plusieurs niveaux et sommes en communication avec tout l'univers. Nous sommes comme une sardine, dans sa boîte, dans le carton de boîtes, enfermée dans la réserve. Quand la personne est en face de moi, elle veut sortir de sa boîte, elle est là pour cela. Chaque chose va me donner des informations. J'ai cette capacité, mais chaque être a ce potentiel qui peut être développé. Chez moi, c'était déjà présent, de par mon chemin de vie. Je peux sentir les centres d'énergie, où en est la personne. Les facettes vont se montrer, même si la personne n'en est pas consciente. La petite fille en colère va réagir, me faire comprendre que l'adulte adapté qui se trouve en face de moi n'est pas lui-même, qu'il est enfermé dans son moule. C'est un peu comme dans les dessins animés, par des petits signes, la personne se "trahit".

    CK : Tu perçois la personne, mais après, cela ne servirait à rien de lui dire :
    - Ta petite fille est en colère.
    La personne ne comprendrait pas ?

    JMM : Effectivement, il ne faut pas effrayer la personne. La petite fille veut s'exprimer. C'est à moi de trouver le chemin pour qu'elle puisse le faire. C'est la première étape incontournable, puisque c'est elle qui s'est manifestée en premier, dans mon exemple. Cette petite fille, cette facette est dans un tel état de colère depuis souvent de nombreuses années, qu'il faut d'abord accepter cette colère, cela est primordial.

    CK : À ce moment-là, dans cet espace protégé, la personne peut s'exprimer, elle osera ?

    JMM : Elle osera, mais il faudra que j'aille la chercher. Je l'aiderai à sortir de l'hypocrisie aussi. Le pardon, à ce moment-là, c'est vraiment prématuré, elle a juste envie de hurler et ne veut pas entendre parler de pardon. Accepter, c'est le maître mot : laisser la petite fille s'extérioriser, manifester cet état dans lequel elle est prisonnière depuis souvent très longtemps. Ce sera la facette prédominante, celle qui dirige la vie de la personne, de A à Z, du matin au soir et inconsciemment. Reconnaissons que cette nouvelle n'est pas agréable à entendre, surtout pour les personnes qui ont déjà fait un bon bout de chemin dans le développement personnel. Plus tu es évolué, plus tu as connu des maîtres, plus tu as dépassé pas mal de choses, plus c'est difficile de donner de l'attention, de reconnaître cette petite fille en colère. C'est devoir accepter que quelque chose d'aussi énorme t'a échappé depuis vingt ans. Il est plus facile de travailler avec la boulangère du coin qui n'a jamais pris un seul cours ni aucune consultation et qui vient en disant:
    - ça ne va pas, aidez-moi...
    L'intelligence est aussi au service de l'égo qui montera toutes sortes de scénarios pour ne pas être découvert, dans ses tentatives de camouflage, aidé par la ruse, l'orgueil et compagnie.

    CK : Est-ce que cela dépend du nombre de facettes que l'on a ?

    JMM : Ce n'est pas une question ni de quantité, ni d'importance. La vrai question est : "Qu'est-ce que la facette t'empêche de vivre ?". Je suis un enseignant, je suis un conférencier, je suis souvent sur les routes, si je ne suis pas attentif à l'amant qui a aussi envie de vivre, je pourrais bien avoir un problème de prostate comme les autres hommes qui négligent leur côté amant. La priorité est propre à chaque individu. Où que tu ailles, où que tu te trouves, les choses sont bien faites, le événements arrivent pour toi, ici et maintenant, le niveau de conscience n'a rien à voir. Si j'ai besoin de travailler ma relation à la nourriture, que je me trouve en Suisse ou au Québec, les choses arriveront de la même manière, incontestablement. Qu'un être se considère comme maître spirituel ou simple péquin, il y a toujours un travail pour lui, sinon, il n'habiterait plus la planète terre.

    CK : Pour en revenir à notre consultation, quand la personne arrive, il se passe quoi en toi ?

    JMM : C'est un peu comme une lecture globale, ça peut commencer dans les vies passées, mais j'aborde rarement ce thème, il y a déjà assez à faire dans cette vie-ci, tout est là, dans la plus petite cellule, tous les programmes de toutes les vies de tout ce que tu as vécu et de toutes les probabilités. C'est extraordinaire. Nous n'avons pas encore découvert tout cela dans une cellule, physiquement, mais on est sur le chemin. C'est au niveau vibratoire que la lecture se fait et je ne peux pas pendre toutes les informations, il y en aurait pour des heures.

    CK : Comment tu choisis alors ?

    JMM : Ce n'est pas si important. L'important est de commencer quelque part. Je prends un petit morceau, je choisis là où il y a urgence, la branche qui se trouve en si mauvais état qu'elle pourrait faire que tout l'arbre s'écroule. Quand il y a des maladies, bien sûr, il y a urgence. Sortir l'émotion liée à la maladie, c'est primordial et cela peut permettre de faire un bond vers la guérison. Imaginons cette petite fille en colère, que personne n'écoute, qui sévit pourtant à l'intérieur de l'être. Arrivée à quarante-cinq ou cinquante ans, l'âge où sévit le cancer, l'aboutissement de vingt ans de colère refoulée, je ne prendrai pas le risque d'y aller de front, ce serait trop douloureux pour la personne. Il sera nécessaire d'abord d'amener la personne petit à petit à visiter, puis vivre dans son corps émotionnel pour gentiment le vider de toutes ses émotions refoulées. Il y aura beaucoup de résistances. Ça passe également et d'abord par l'apprentissage de l'observation de soi-même. Apprendre à percevoir cette fraction de seconde où, pour ne pas sentir la souffrance, l'égo se fabrique toutes sortes de bonnes raisons de ne pas se regarder en face.

    CK : Ça dépend de quoi, ta capacité à choisir, à visualiser la personne. C'est ce que tu as appris où ça tient de l'intuition?

    JMM : Certaines matières, je les ai apprises, d'autres je les ai réapprises, un peu comme si je m'en souvenais. Le but, plus tard, c'est oublier tout ce qui est du domaine de l'apprentissage pour se laisser totalement aller. Il est nécessaire d'être très libre, de n'avoir pas peur de ses propres émotions, en tant que thérapeute, de pouvoir lâcher son égo, sinon il voudra prendre le contrôle. Se laisser aller, se connecter à son âme et à ses guides. Et c'est comme cela que je peux vraiment aider.

    CK : Tu parles de vider les émotions, qu'entends-tu par là exactement ?

    JMM : Se libérer des émotions, c'est plus joli. Mais j'aime bien ces termes vider les émotions, comme on vide les poubelles, comme on va se doucher après une journée, il faut nettoyer tout cela, c'est de l''hygiène émotionnelle. La colère, la peur, la tristesse, la joie, canalisées et prisonnières, ces émotions ont besoin de sortir. Après, il existe bien des manières de vider les émotions : la danse africaine par exemple avec des gestes et des cris du fond des tripes. Le rire, la thérapie par le rire, c'est extraordinaire aussi. Un jour où vous n'êtes pas dans votre assiette, ça demande un gros effort, de rire. Par contre si vous vous y forcez, ça vous libère. C'est avant tout l'expression de la joie, ça dédramatise les situations les plus cocasses, rire de soi, ça atténue la pseudo gravité des choses, rire de son égo qui vous joue des tours pour ne pas être découvert, comme quand je suis avec Johanne et que je l'éjecte.

    CK : Tu parles de Johanne Razanamahay ?

    JMM : Oui, c'est une enseignante, qui a écrit beaucoup de livres, qui connaît l'être humain, qui me connaît, la personne avec laquelle je peux le mieux partager. Et bien, même elle, quand je me sens soudain en insécurité, je l'éjecte. Mais après, même si c'est un réflexe naturel de protection, ce n'est pas sain et cela la fait souffrir. Je ne peux plus mentir. Quand Johanne m'a reparlé de l'instant où je l'ai éjectée, j'ai reconnu. C'est la personne avec qui j'enseigne sur scène, et celle que j'ai le moins envie d'offenser. En trois minutes, en reconnaissant la situation, le problème a été réglé. Plus besoin de s'apitoyer voire de pleurer sur soi. Cela devient de plus en plus léger. Adieu culpabilité, pleurs, introspection de plusieurs jours sur ce qui a été dit et fait en stage...

    CK : Revenons à la personne en consultation, après cette lecture, tu as choisi en quelque sorte ou cela a été évident pour toi de savoir sur quoi tu allais travailler ?

    JMM : C'est moi et mes guides. Bien sûr que je ne peux pas parler avec la personne de tout, ce serait confus et ça ne servirait à rien. Elle pourrait s'effrayer. Lors de la prise de rendez-vous j'amène les gens à décrire quelque chose de précis. Dire :
    - J'ai des problèmes dans mon couple.
    ce n'est pas suffisant, c'est beaucoup trop vaste. Par contre, dire :
    - Quand je monte l'escalier, mon mari détourne le regard.
    c'est déjà plus significatif. Et quand la personne précise :
    - Il me fait ce coup-là chaque fois, le lendemain de mon cours de yoga.
    ça s'éclaircit encore plus. L'objectif de la consultation pourrait être de découvrir comment vivre cette situation différemment ?
    La suite, lors de la consultation pourrait être celle-ci :
    - Comment tu te sens à ce moment-là ?
    - Je suis en colère, j'ai envie de le frapper...
    Régler les comptes de cette manière, c'est enfantin !
    La suite serait :
    - T'arrive-t-il toi aussi de te venger ?
    - Et bien oui, ça m'arrive !
    Là, au moment de la prise de conscience que ce n'est qu'un miroir, que tout ce qui nous entoure n'est que miroir, pour nous montrer exactement où on se situe, la personne peut refuser net, comme un cheval devant un obstacle. Cela dépend de l'importance de son égo. Il faudra peut-être un peu de temps pour considérer qu'elle en est là pour le moment et l'accepter. Accepter, en l'occurrence qu'elle règle ses comptes, dans d'autres situations certes, de la même manière que son mari. Si la personne n'est pas prête, c'est inutile d'insister. Petit à petit, elle pourra regarder les choses d'une autre manière, par exemple la prochaine fois qu'elle monte l'escalier.

    CK : Et là, en cas de braquage, tu fais quoi ?

    JMM : Je choisis par exemple d'être le bon père, parce que c'est ce qu'elle recherche. Elle pleure, de rage un peu, de tristesse aussi, alors je la console, je lui passe les mouchoirs. C'est une étape sur le chemin de l'acceptation, un accueil chaleureux de ce qui arrive, sans jugement.

    CK : Il t'arrive d'être toi aussi envahi par l'émotion de la personne et comment tu gères cela ?

    JMM : Oui, gérer ne veut pas dire ne plus rien ressentir. Il m'arrive d'avoir les larmes qui montent. C'est ma facette miroir de celle de l'autre personne qui réagit. À ce moment-là, je le dis :
    - Ma facette est aussi activée, je suis touché par ce qui arrive. Mon petit garçon qui a manqué d'amour se manifeste.
    Cela sécurise la personne de voir que moi aussi j'ai un petit garçon qui a besoin d'être aimé. Je suis en résonance avec ce qui se passe chez l'autre. Ça demande de l'humilité de le reconnaître. C'est peut-être pour cela que bon nombre de thérapeutes restent dans le mental, ne peuvent pas se permettre de se laisser toucher par l'autre, parce qu'ils ne savent pas où cela les mènerait, s'ils pourraient gérer. Il est vrai que certaines émotions me touchent encore, mais d'autres ont été complètement manifestées et il en reste un torrent d'amour et c'est de la compassion pure que je peux offrir dans ces moments-là. Mais bien sûr qu'en face de l'énergie d'un Hitler qui a tué nombre de gens, au départ il se pourrait que ce soit douloureux, mais avec le temps, même avec les émotions les plus fortes, l'énergie arrive déjà transformée. Le processus est le même en privé que lors des ateliers. Par contre, l'énergie d'un groupe, je trouve cela merveilleux. Quand on est ensemble, dans un même corps, les vibrations sont magiques. À dix personnes qui vivent pleinement dans leur lumière, la puissance de l'énergie est extraordinaire, alors imagine à cent ou mille ou plusieurs milliards. Mais voilà, une fois le stage terminé, la vie reprend son cours comme on dit et les habitudes leurs places...

    CK : Dans ta consultation, comment fais-tu pour gérer le temps, pour conclure ?

    JMM : Après avoir travaillé dans la première couche des facettes, celles de déblocage, puis favorisé la prise de conscience de la personne, je donne quelques outils pratiques pour la vie de tous les jours. Quand la personne a vécu une émotion, plus ou moins forte, elle n'est plus vraiment en état de continuer avec d'autres situations et d'autres émotions, il faut passer à autre chose. C'est là que mes guides interviennent, au niveau énergétique, il se passe quelque chose. Pour que ce soit possible, il m'a fallu favoriser l'ouverture du corps émotionnel de la personne. Au niveau subtil, beaucoup de choses se préparent pour le futur, dont la personne n'a encore aucune conscience. Si le but est d'aller vers le Moléson, inexorablement, la personne se dirigera vers le Moléson, même si elle fait un détour par Berne. Au fur et à mesure, l'être humain acquiert cette capacité de choisir des chemins plus doux, plus agréables.

    CK : Que penses-tu de la théorie qui dit que le cancer est la maladie de la haine refoulée ?

    JMM : Oui, je suis d'accord, ce sont les plus grandes colères non exprimées, avec un complément. Il y a différents types de haine ou frustration, il y a celle de l'enfant, ou celle de l'adulte, par exemple l'adulte qui a choisi de faire des conférences mais qui remet toujours à plus tard l'application de son projet, cette colère-là aura une fréquence précise. Le cancer est la manifestation extrême de la haine et des émotions refoulées. Quand j'accompagne une personne atteinte de cette maladie, pour évacuer les émotions, les rages qui se manifestent font trembler toute la Gruyère.

    CK : Et comment on va laisser ses facettes s'exprimer ?

    JMM : D'abord on va sortir la haine, la première couche et je suis persuadé que c'est indispensable de le faire. Et puis petit à petit, à chaque facette qui n'a pas pu s'exprimer, il faudra lui donner la parole, quoi qu'elle ait à dire. C'est le seul et unique chemin vers l'acceptation de cette partie de soi-même qui a besoin comme toutes les parties, d'être acceptée, sans quoi la suite de l'évolution n'est pas possible. Un enfant, un animal aussi, sait quand quelque chose est toxique à l'intérieur de lui-même, il fera tout ce qui est en son pouvoir pour s'en débarrasser. C'est aussi ne pas s'arrêter à reconnaître l'émotion, mais vraiment entrer en elle et l'accompagner vers le chemin de la sortie, avant qu'elle ne se transforme en maladie, voire qu'elle nous tue. Ce que nous sommes venus expérimenter, c'est ce corps émotionnel qui est quelque chose d'unique et très avant-gardiste.

    CK : C'est un passage obligé ? Même si on a l'air bizarre quand même à hurler ou sauter comme des bêtes ?

    JMM : Oui. Les enfants savent cela très bien, quand ils crient. Ce sont les mamans qui devraient se mettre à crier avec les enfants et non tenter de les faire taire. D'ailleurs, les enfants crient souvent parce que les parents ont oublié de le faire. Imagine la mère qui tape des pieds et crie avec son enfant, c'est une reconnaissance pour lui. Il pourra se dire :
    - Bien, dans ce monde, je peux vivre des émotions.
    - Maman accepte que quand elle vit une émotion, je le sens et je l'invite à l'exprimer.
    Il faudra l'éduquer bien sûr, lui dire qu'il est n'est pas utile de frapper les gens, par exemple. Et puis une émotion vécue par rapport à son amant intérieur ne sera pas vécue de la même manière que s'il s'agit du conférencier ou de l'écrivain ? Plus l'émotion est vécue et invitée à sortir en conscience plus l'exercice sera profitable. Plus on devient conscient, mieux on est connecté à tout ce qui nous entoure et plus on reçoit de messages, plus on les entend. Il est préférable de se libérer en conscience, d'amener le monde à l'intérieur de soi, plutôt que de pratiquer, à l'américaine, ces libérations quasiment forcées, qui auraient donné de bons résultats, mais où on n'a pas tenu une statistique du nombre de crises cardiaques que cela a provoqué, suite à une attitude que l'on pourrait qualifier de dopage au positif. Dans ce cas-là, l'enfant intérieur qui aurait voulu être un artiste n'est pas vraiment pris en considération.

    CK : Et après avoir laissé la place à la haine et sa suite de sortir ? Après s'être libéré de cela ?

    JMM : Après, il devient de plus en plus facile d'aller, sur un chemin doux et agréable, vers ses buts. La conscience de ce qui se passe, de plus en plus aiguisée par ce travail de vidange, fera émerger d'autres choses. C'est un long chemin. Par exemple, je sais que j'ai en moi une facette qui avait prévu de mourir d'un cancer depuis que j'avais dix ans, et ça, ça fait peur. Le plus incroyable, c'est que tu deviens exactement comme tes parents, en plus intelligent, tu es en avance, tu arrives mieux à planquer les choses. Si tu ne travailles pas sur toi, si tu n'es pas conscient, tu ne le sais même pas, mais de toutes façons, ce sont tes modèles, tu les as choisis, tu deviendras comme eux. Un moment absolument primordial, c'est d'accepter que je suis comme mon père. Quand je mange comme un glouton, ça me fait mal au coeur, je le vois, je me retrouve comme un petit goret qui engloutit bruyamment sa pitance. Avant de vouloir aller ailleurs, expérimenter d'autres choses, est-ce que j'arrive à me voir comme cela ? Ce n'est pas forcément rapide cette véritable acceptation. J'en ai vu beaucoup dire :
    - Voilà, c'est bon, j'ai accepté !
    Mais il n'en était rien. Soyez prudents dans vos pronostics, une fausse interprétation, habilement suggérée par votre égo, vous fait peut-être patiner depuis des millénaires, patiner, rester sur place. Et de vous voir en petit goret, dans le fond, c'est toujours aussi douloureux en profondeur puisque pas reconnu. Quand on arrive à en rire, c'est vraiment le signe que la guérison a commencé.

    CK : L'acceptation, sur plusieurs années, prendre le temps qu'il faut, et après ?

    JMM : La phase d'acceptation dure bien plus longtemps qu'on croit. En êtes-vous seulement déjà arrivé à accepter que, pour le moment, vous ne pouvez pas encore accepter, c'est une des étapes. L'acceptation se ressent dans le corps physique, mais aussi dans les corps émotionnel et mental. Tant qu'il y a des résistances, ce n'est pas terminé. Quand j'entends quelqu'un me dire :
    - Cette fois ça y est, je me suis pardonné !
    - Qu'est-ce que tu avais à pardonner ? À te pardonner ?
    Pourquoi devrions-nous pardonner ? La seule bonne raison que je vois, c'est que ça nous apporte la paix. Après cela, une fois l'acceptation réelle passée, vous pourrez commencer à voir votre propre évolution. Quand je regarde mon père et son désir d'être rayonnant, d'apporter sa contribution pour améliorer le sort de l'humanité, il en est resté au stade du rêve, il y avait trop de peurs, peur de l'enfant d'être jugé, de ne pas être aimé, d'être rejeté par ses pairs. Il n'a pas pu aller plus loin, comme son père non plus. Il y avait une base, c'est pour cela que je l'ai choisi comme père. Il avait aussi cette ouverture, j'ai lu très jeune cinq cents bouquins pour un peu me rappeler ce que j'étais venu faire.
    Et puis, enfin, regarder, savoir qui on est ? En conscience, vraiment. En Occident, on aime la philosophie, on aime avoir une opinion sur les choses, en débattre, se contredire. Ça donne une jouissance intellectuelle, l'égo est content, il se frotte le ventre, mais ça s'arrête là ! L'enfant sait, il n'a pas besoin de philosophie. L'adulte blessé vole au-dessus de la tempête, en se faisant croire que tout va bien, sans reconnaître que la vie c'est en-dessous qu'elle se passe. Après il n'y a pas d'alternative, tu es obligé de mourir, nous vivons dans un espèce de suicide collectif, doux et tamisé, mais suicide quand même.

    CK : Heureusement que nous sommes là, toi, moi et d'autres pour tenter de réveiller nos congénères ?

    JMM : Oui, le monde évolue, lentement, mais sûrement !

    Broc, interview du 10 février 2014


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